A Mayotte, la justice contraint l’Etat à organiser le retour de sans-papiers après des expulsions illégales
Des jeunes de Tsoundzou, qui redoutent que leur quartier soit détruit et que leurs mères soient renvoyées aux Comores, à Mayotte, le 28 avril 2023. MORGAN FACHE POUR « LE MONDE »
Son avocat parle de « pratiques condamnables et arbitraires ». Pauline Le Liard, juriste à la Cimade, association d’aide aux migrants et aux réfugiés, d’un « déni de justice ». Agé de 39 ans, Salim A. M., ressortissant comorien, a été expulsé le 14 mars de Mayotte, où il réside depuis 2016, quelques heures avant même que le tribunal administratif rende sa décision sur son recours contre une obligation de quitter le territoire français (OQTF), prononcée par la préfecture et finalement suspendue. Me Kossi Dedry, son avocat, avait pourtant alerté les gendarmes et les responsables du local de rétention administrative où était enfermé son client après son interpellation à Dembéni.
Le 26 avril, le juge des référés a sanctionné cette reconduite à la frontière hâtive et illégale en enjoignant au préfet de Mayotte, Thierry Suquet, de « prendre toutes les mesures de nature à permettre le retour » de ce ressortissant comorien. Salim A. M. va pouvoir bientôt retrouver, à Mayotte, sa fille Ihssane, 5 ans, et sa compagne, titulaire d’une carte de résident. Le père de famille fera le voyage « dans les meilleurs délais » et « aux frais de l’Etat français », qui devra lui délivrer « une autorisation de séjour l’autorisant à travailler », ordonne aussi le tribunal en considérant que « son éloignement porte une atteinte grave et manifestement illégale à son droit au recours effectif ». « Heureusement, le juge a remis les pendules à l’heure », commente sobrement Me Dedry.
A Mayotte, le cas de Salim A. M., avec condamnation de l’Etat et injonction à organiser un retour, illustre un angle mort de la politique du chiffre en matière de lutte contre l’immigration clandestine, jugée prioritaire et soutenue par une grande majorité de Mahorais. Depuis le 24 avril, l’opération « Wuambushu » entend incarner cette fermeté politique avec un objectif initial de 20 000 reconduites à la frontière en « deux mois ».
Elle a pour l’instant provoqué l’effet inverse puisque les expulsions sont stoppées en raison de l’hostilité de l’Union des Comores, qui s’est traduite par la fermeture de leurs frontières maritimes. Un sérieux revers pour le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, en plus des décisions de justice suspendant les expulsions et les démolitions dans le bidonville de Talus 2 où vivent soixante-dix familles.
« Violation manifeste du droit »
En 2022, plus de 26 000 personnes ont été éloignées de Mayotte, selon les données de la préfecture, avec des rotations quotidiennes de bateau vers l’île d’Anjouan, distante de 70 kilomètres du 101e département français. « Les expulsions sont extrêmement rapides, observe la juriste à la Cimade Pauline Le Liard. Les problèmes de respect du droit sont liés à cette précipitation. Le délai moyen entre une entrée au centre de rétention administrative et une expulsion est de dix-sept heures. Tout est fait pour que cela aille vite et qu’il soit difficile de faire valoir ses droits. Seules 4 % des personnes peuvent saisir un juge. » Sur 43 565 personnes placées en centre de rétention administrative (CRA) en France en 2022, près de 60 % l’ont été à Mayotte.
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Source: Le Monde