Menahem Pressler, le dernier roi du piano romantique, est mort
Le pianiste de légende, cofondateur du Beaux Arts Trio, s'est éteint hier à Londres à l'âge de 99 ans.
« Le monde a gagné un roi. Mais aujourd'hui, nous en avons aussi perdu un ! » C'est en ces termes que le violoniste Daniel Hope saluait il y a quelques heures la disparition de Menahem Pressler, qu'il avait côtoyé pour quelques années au sein du Beaux Arts Trio, juste avant la dissolution de ce dernier en 2008. Pressler en était l'un des trois membres fondateurs, et en avait fait partie durant plus d'un demi-siècle. Il s'est éteint paisiblement hier, à Londres, à l'âge de 99 ans, a annoncé Abra Bush : la doyenne de la Jacobs School of Music, de l'université d'Indiana, où Menahem Pressler avait commencé à enseigner dès... 1955 ! Une information confirmée au Figaro par son agent français Jean-Marc Peysson. « C'était un pianiste brillant, un professeur extraordinaire et une âme tendre qui a laissé une marque indélébile sur des générations de pianistes du monde entier », a commenté Abra Bush. Ajoutant que « sa présence continuera à se faire sentir à travers ses élèves, passés et présents, pour les décennies à venir. »
Un sentiment partagé par l'ensemble du monde musical. Car le pianiste israélien était aussi connu pour sa carrière de chambriste, au sein de cet ensemble de légende que fut le Beaux Arts Trio, que pour la pureté de son jeu de soliste. Un jeu dont la transparence, le naturel et la sonorité chaude enchantaient tout aussi bien chez Mozart que chez Schubert ou Beethoven : des maîtres maintes fois abordés en trio, et auxquels il rendait encore hommage lors de ses derniers enregistrements pour le label La Dolce Volta, entre 2013 et 2017. « On a eu les larmes aux yeux car plus personne ne joue du piano ainsi aujourd'hui, c'est tout », concédait il y a dix ans notre confrère Christian Merlin dans les colonnes du Figaro, au lendemain d'une mémorable interprétation du concerto n°27 K.595 de Mozart.
Même passé le cap des 90 ans, Pressler continuait de jouer en récital et d'enseigner, avec une grâce qui défiait parfois l'entendement. Il avait pourtant commencé sa carrière internationale à vingt et quelques années, sous la baguette d'Eugene Ormandy, en faisant ses débuts au Carnegie Hall après avoir remporté le concours international Claude Debussy de San Francisco.
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Une force trouvée chez Beethoven
Né à Magdebourg dans une famille juive, il avait fui l'Allemagne avec ses parents une dizaine d'années plus tôt, aux lendemains de la tristement célèbre « nuit de cristal. » Menahem Pressler n'avait alors que quatorze ans. Alors que presque toute sa famille, restée à Berlin, mourra dans les camps, l'adolescent, traumatisé, s'installe pour un temps à Haïfa après un passage par l'Italie, dans ce qui n'est pas encore Israël, où il dira avoir trouvé la force de survivre dans les disques dont il s'abreuve. Notamment chez Beethoven.
Après s'y être produit avec l'Orchestre de Palestine (le futur Orchestre philharmonique d'Israël) nouvellement créé, le jeune prodige qui y suivit les cours d'Eliahu Rudiakov et de Leo Kestenberg part pour New York, sur les conseils du pianiste français Paul Loyonnet. Outre-Atlantique, il parachève sa formation auprès d'un autre élève de Busoni : Eduard Steuermann, à qui l'on doit, entre autres, la création du célèbre Pierrot Lunaire de Schoenberg. C'est aussi là-bas qu'il fonde, en 1955, au cours du festival de Berkshire, le Beaux-Arts Trio avec le violoniste Daniel Guilet et le violoncelliste Bernard Greenhouse.
En un peu plus d'un demi-siècle et au fil de six remaniements successifs, la formation marqua d'une empreinte indélébile l'interprétation des plus grands trios avec piano du répertoire. Ne délivrant pas moins de 130 concerts et léguant un héritage discographique de quelque 68 enregistrements parus chez Decca. À la dissolution de l'ensemble en septembre 2008, le pianiste, alors âgé de 85 ans, avait trouvé la force de poursuivre sa carrière de soliste, laquelle avait alors bénéficié d'une mise en lumière bienvenue, notamment après ses débuts à 90 ans avec l'Orchestre philharmonique de Berlin, dirigé par Sir Simon Rattle, en 2014!
Nommé à de nombreuses aux Grammy Awards américains, Menahem Pressler s'était aussi vu décerner une Victoire d'honneur, France, aux Victoires françaises de la musique, en 2016.
Source: Le Figaro