Dix ans n'ont pas suffi pour retrouver Fiona à Clermont-Ferrand

May 11, 2023
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"L’affaire Fiona" a commencé par un hélicoptère. Celui de la sécurité civile du Puy-de-Dôme, flirtant avec les pâquerettes des jardins pavillonnaires de Clermont-Ferrand, dimanche 12 mai 2013, vers 20 heures.

Il passe et repasse au peigne fin, à basse altitude, un large périmètre autour des 26 hectares du parc Montjuzet. Au sol, des policiers, des pompiers ratissent les allées, les talus et les environs. Tous cherchent une petite fille de cinq ans et demi. Sa maman dit s’être assoupie près d’un banc cet après-midi-là. Elle est enceinte, fatiguée. À son réveil, sa cadette est toujours assise dans l’herbe. Pas son aînée.

L'affaire Fiona a commencé il y a dix ans à Clermont-Ferrand. En 2020, la mère de Fiona est définitivement condamnée à vingt ans de réclusion pour le meurtre de sa fille. Berkane Makhlouf, le beau-père, à dix-huit ans de réclusion. La Montagne revient sur cette affaire criminelle hors norme.

Le parc est pentu, elle la pense tombée, blessée. La cherche, affolée. Elle alerte les passants. Rien. Personne n’a vu la fillette. Elle a pu sortir du parc seule. Son beau-père la raconte "téméraire" dans sa description aux enquêteurs. D’où le large périmètre de recherche.

Bien sûr, les policiers et les magistrats, dont le procureur de la République, sur place dès le début de la soirée, pensent à un ravisseur. Donc il faut aller vite. Déclencher l’alerte enlèvement ? Non. Quelque chose cloche. Dans le jargon juridique, "les critères ne sont pas réunis". Premières dépositions, premières incohérences, premiers doutes. Dans ce type d’affaire, la famille est aussi suspectée. Fiona est-elle déjà morte ? C’est une hypothèse. On fouille les poubelles du quartier, trace les téléphones. Les chiens reniflent. Toutes les pistes sont suivies.

Un hélicoptère avec caméra thermique prend le relais vers minuit. L’armée, 80 militaires du 92e, est là au lever du jour. Un appel à témoin, des fouilles de véhicules agitent Clermont. Les jours passent. La mère, Cécile Bourgeon, pleure face caméra : "Rendez-moi Fiona". Sa "pépette". L’affaire a désormais un nom. Et une frimousse, brandie sur des pancartes de marches blanches. Solidarité. Émotion. On cherche tous Fiona. Les témoignages affluent. De l’autre bout de la France même. Des témoins sincères, des voyants à l’utilité controversée. Les enquêteurs submergés font face.

Un pacte d’amour ?

Les uns très visibles, partout. Rassurer la population. Les autres très discrets. Aux premiers, les "on ne sait jamais". Aux seconds, les "on veut savoir". Ce milieu de la drogue et de la violence qu’ils cernent de mieux en mieux. Et finalement, cette certitude que Fiona est morte chez elle, dans l’appartement de la rue Goncourt.

Avec le magistrat instructeur, ils vont ronger leur frein tout l’été 2013. Cécile Bourgeon a déménagé à Perpignan, près de sa mère. Avec la sœur de Fiona. Et son compagnon, Berkane Makhlouf. Elle est enceinte de lui. Impossible d’envisager une garde à vue. Un interrogatoire musclé pour aller au fond des choses. Espérer des aveux.

Ce sera le 24 septembre 2013 : Fiona est bien morte. Chez eux, avec eux. L’enlèvement ? Du cinéma ! À Clermont, le choc est à la hauteur de l’émotion qu’avait suscitée la disparition. D’autant que la descente aux enfers est rude. Ils ont enfoui le corps, sommairement, dans la forêt, près du lac d’Aydat. Ils ne savent plus trop où. Les enquêteurs les conduisent sur le terrain, espérant… Mais rien. Jamais. Et dix ans plus tard… non plus.

Un pacte d’amour entre ces deux-là devenu au fil des années un pacte d’intérêt ? Les mots sont de l’un des avocats du papa de Fiona. Lui qui voulait retrouver sa fille, lui offrir une sépulture. Il a subi le pire. D’abord soupçonné, Cécile Bourgeon l’avait désigné comme possible ravisseur. Puis innocenté. Mais jamais respecté : les deux mis en examen ne lui dévoileront rien. Pas même comment sa fille est morte. De l’agonie, le père ne saura rien.

La thèse de l’accident domestique a été tentée. Fiona aurait-elle pu ingurgiter un produit stupéfiant qui traînait ? Overdose ? Les magistrats n’y croient pas. Fiona est morte sous les coups. Mais... Un seul ? Plusieurs ? Portés ensemble par la mère et le beau-père ? Ou séparément ? Et quand ? Le samedi... Avant ? Quatre procès. Les mêmes questions. Pas de réponses. Les experts, psychiatres, psychologues, criminologues se succèdent à la barre. Les voisines, les amis, les dealers même.

Toute la vie de ce couple est passée au crible pour tenter de cerner celle de Fiona. Ces derniers jours terribles à dissimuler un hématome sous un bandeau jaune, les yeux cernés. L’école aurait-elle pu savoir ? Dû réagir ? C’était le pont, celui de l’Ascension. Avant ? Peut-être. La grand-mère, mère de Cécile ? Trop loin, dans le sud. Elle ne venait pas à Clermont à ce moment-là. Le père des fillettes ? La jambe dans le plâtre après une altercation avec Berkane Makhlouf, il est mis à l’écart. Le huis clos est en place. S’ajoutent les allocations sociales qui viennent de tomber. Dépensées en drogues. Plus que d’habitude ? Et la perte de repères.

"Un distributeur à enfants"

Berkane Makhlouf est un habitué de cette vie-là. Lors du premier procès, impulsif et antipathique comme il faut, c’est lui qui prend la lumière. Cécile Bourgeon est sous son emprise. Elle ne frappe pas sa fille. Lui non plus, crie-t-il. Les jurés, à Riom, ne le croient pas : vingt ans de réclusion. Elle, si. Cinq ans de prison pour avoir monté le scénario de l’enlèvement, caché le corps de sa fille. La même émotion, au Puy-en-Velay. Les débats houleux d’un procès qui devra s’y reprendre à deux fois pour les condamner à vingt ans de réclusion. Tous les deux. La Cour de cassation annule la condamnation.

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Lyon 2020, sept ans ont passé. Cécile Bourgeon s’est remariée, a eu un autre enfant. Le quatrième. Elle comparaît libre. Berkane Makhlouf, en prison depuis 2013, est l’ombre de lui-même. Son avocat fait un boulot stratégique : oui, ce n’est pas un type sympathique, mais il n’est pas un tueur d’enfant.

Elle, à fixer le fond de la salle, dos au public, pendant trois semaines. Elle, à se mélanger les pinceaux sur l’âge qu’aurait eu Fiona le 3 décembre, troisième jour du procès. Elle, incarnant parfaitement les expertises psychiatriques qui la disent immature et manipulatrice. "Un distributeur à enfants", caricature même le père de Fiona. Elle, pleurant parfois, mais n’émouvant plus. Elle, qui finalement rabâche n’avoir jamais levé la main sur sa fille, mais que les jurés ne croient pas. Elle, à qui l’on ne trouve plus d’excuses d’avoir laissé mourir Fiona, d’avoir inventé son enlèvement, d’avoir caché son corps quelque part dans la terre d’Auvergne. Sa condamnation sera donc plus lourde que celle de Berkane Makhlouf.

Et Fiona ? Disparue. Mais il n’y aura plus d’hélicoptère survolant des jardins de Clermont-Ferrand pour la chercher.

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Cécile Bergougnoux

Source: La Montagne