Emmanuel Macron en Chine : "Le but était de faire passer des messages, le bilan est mitigé"
Interview
Le président chinois Xi Jinping et le président français Emmanuel Macron, le 7 avril 2023, dans le jardin de la résidence du gouverneur de la province du Guangdong à Canton.
Le président français a achevé vendredi un voyage de trois jours en Chine, où il a fait du conflit en Ukraine le principal thème de sa visite. Mais les messages qu’il a voulu faire passer ont été brouillés par des erreurs de communication, selon le spécialiste de la Chine Antoine Bondaz.
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Trois jours passés en Chine pour Emmanuel Macron, dont de longues heures en compagnie de Xi Jinping, pour aboutir, vendredi 7 avril, à une déclaration commune a minima sur la guerre en Ukraine. Les deux présidents s’engagent à "soutenir tout effort en faveur du retour de la paix en Ukraine". Le texte ne mentionne pas la Russie et ne condamne pas son intervention militaire en Ukraine.
Un texte "pas très surprenant", selon Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) et enseignant à Sciences Po, pour qui le bilan de la visite d’État du président français en Chine est "mitigé".
Déclaration 🇫🇷🇨🇳 à l’issue de la visite d’État https://t.co/Enp3n3cqxQ — Antoine Bondaz (@AntoineBondaz) April 7, 2023
Jeudi, Emmanuel Macron et Xi Jinping avaient appelé à des pourparlers de paix le plus tôt possible et rejeté tout recours à l'arme nucléaire. Mais si, comme on l'assure côté français, le président chinois s'est dit prêt à appeler son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky, Xi Jinping a précisé qu'il le ferait au moment qu'il aura lui-même choisi.
Vendredi, Emmanuel Macron s’est rendu à l'université Sun Yai-sen de Canton, la troisième ville du pays avec 15 millions d'habitants. Dans le gymnase du campus, il a dénoncé, face à un public d'un millier d'étudiants, l'intervention militaire de la Russie en Ukraine. Après cette rencontre, Emmanuel Macron a rejoint Xi Jinping sur l'île de Shamian pour une cérémonie du thé et un dîner privé.
France 24 : L’Ukraine était le principal sujet à l'agenda des discussions entre Emmanuel Macron et Xi Jinping. Ce voyage a-t-il été utile ?
Antoine Bondaz : Il fallait avoir des attentes réalistes et donc limitées. La Chine n’a fait que répéter sa position, sans offrir le moindre changement sur sa ligne. Paris a fait savoir que Xi Jinping s’était dit prêt à appeler Volodymyr Zelensky. Mais même ça, on le savait déjà, il n’y a rien de nouveau. Donc, de ce point de vue, il n’y a pas eu d’avancée cette semaine et c’est bien normal. Xi Jinping était il y a peu à Moscou, il n’allait pas aussitôt annoncer un revirement dans sa politique étrangère.
Mais l’objectif n’était pas tant de savoir ce que la Chine allait dire que de faire passer des messages. Il fallait notamment parvenir à dissuader Pékin de livrer des armes à la Russie tout en affichant l’unité de l’Union européenne.
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Emmanuel Macron est-il parvenu à faire passer ces messages ?
Pas complètement. Le message est brouillé quand Paris affirme que Pékin va prendre ses distances avec le projet impérialiste russe parce que la Chine respecte la charte des Nations unies. Parce que dans les faits, Xi Jinping ne respecte pas la charte de l’ONU, sinon il aurait pris depuis longtemps ses distances avec Vladimir Poutine. Il faut avoir un discours plus direct. Par exemple, il aurait fallu clairement signifier que des livraisons d’armes à la Russie iraient à l’encontre de la sécurité des Européens : là, c’est concret et c’est ferme.
Sur l’unité de l’Union européenne, Emmanuel Macron a essayé et c’était bien de faire venir Ursula von der Leyen. Il y a eu des commentaires pour dire qu’elle était mal reçue, mais c’était anticipé. Il fallait s’attendre à ce que Pékin tente de diviser les Européens, notamment en faisant une différence de traitement entre Emmanuel Macron et Ursula von der Leyen. C’est quelque chose que nous ne pouvions pas maîtriser. En revanche, il était important de contrôler notre communication, et même si Emmanuel Macron a tenu à mettre en avant l’unité européenne dans son discours, il aurait pu le faire davantage. Il aurait par exemple pu appuyer Ursula von der Leyen sur sa position de "réduction des risques" dans la relation entre l’UE et la Chine, qui consiste non pas à se "découpler" de Pékin, mais plutôt à équilibrer la relation en faisant attention à ses risques et à la dépendance de l’UE vis-à-vis de la Chine. Aujourd’hui, il y a une asymétrie beaucoup trop forte entre les deux puissances. C’est quelque chose qu’Emmanuel Macron n’a pas porté dans son discours.
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Est-ce à dire que ce voyage est un échec ?
Non, tout de même pas. Disons que le bilan est mitigé. Il y a eu de très bonnes séquences, comme celle d’aujourd’hui à l’université. Emmanuel Macron a fait une ode au savoir et à la liberté de la recherche. Bien évidemment, ce discours n’aura presque aucun impact en Chine, mais en termes d’image, c’est positif car c’est un message qu’il faut porter auprès de la jeunesse chinoise, tout comme le message d’ouverture.
Maintenant, sur le reste, tout n’a pas été parfait, notamment la communication. Il a beaucoup été question jeudi de la durée du discours d’Emmanuel Macron, qui a parlé deux fois plus longtemps que Xi Jinping. C’est sûr que quand vous avez le président chinois qui montre des signes d’agacement parce que vous parlez trop longtemps, c’est une erreur de communication dont on peut se passer. S’il y a un pays où une petite phrase ou une petite erreur pourront être instrumentalisées contre vous, c’est la Chine.
La dernière inconnue est la façon dont ce voyage va être perçu par nos partenaires. Il va falloir attendre un peu pour le savoir, mais on peut déjà souligner le "deux poids, deux mesures" entre la façon dont Emmanuel Macron a fait la leçon aux pays africains lors de sa dernière tournée en leur expliquant qu’il fallait condamner la Russie et la retenue avec laquelle il s’est adressé à Xi Jinping. Il y a une forme d’hypocrisie qui pourrait mal passer.
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Source: FRANCE 24