Mathias Wargon, médecin urgentiste : " La réintégration des soignants non vaccinés est une réponse facile et démagogique "

May 11, 2023
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Il y a quelques années, lors de mes tentatives annuelles de promouvoir la vaccination antigrippale parmi le personnel des urgences, une aide-soignante m’avait interpellé sur l’obligation vaccinale. Si l’on tenait tant à ce que les soignants soient vaccinés, pourquoi ne rendait-on pas obligatoire la vaccination contre la grippe, d’autant qu’elle était jeune et ne craignait rien ? Et dans le cas où on ne la rendait pas obligatoire, pourquoi la forcer à se vacciner ? Une des cadres infirmières la soutint publiquement, en affirmant que la vaccination l’avait rendue plus malade que la grippe et qu’elle ne se ferait plus vacciner. De la transmission aux patients, il ne fut pas question.

Au premier trimestre 2021, la vaccination contre le Covid-19 est devenue disponible et obligatoire. Nous avions passé deux vagues très difficiles, avec de nombreux morts et malades, des hôpitaux débordés, des difficultés matérielles et d’organisation. Nous entrions dans la troisième vague. Il y avait de multiples interrogations sur ces nouveaux vaccins, des incertitudes sur la protection et déjà beaucoup de désinformation. Quand la plupart des soignants sont allés se faire vacciner, certains ont choisi de se retirer. Soit parce que la peur des effets indésirables a pris le dessus, soit parce qu’ils adhéraient aux thèses parfois farfelues qui déferlaient déjà sur les réseaux sociaux et dans les médias.

On oublie souvent que ce n’est pas le premier épisode. La vaccination contre l’hépatite B avait provoqué une énorme méfiance, déjà dans un contexte de « fake news » antérieur à l’avènement des réseaux sociaux. Mais, pour reprendre les termes de l’Académie de médecine : « Loin d’être une atteinte à la liberté individuelle, les obligations vaccinales qui s’appliquent aux professionnels de santé sont des mesures préventives indispensables pour éviter la transmission nosocomiale des infections ; admises par les soignants parmi les pratiques visant à protéger les malades (…), elles font l’honneur de leur profession. » Quelles qu’en soient les raisons, des soignants ont rompu avec les obligations de notre profession, dans une défiance de ce qui constitue la pratique médicale fondée sur les études et le consensus scientifique.

Situation de non-retour

Depuis, le virus a évolué, les patients graves sont devenus moins fréquents et le Covid est souvent le déclencheur d’autres pathologies chez des malades fragiles. Le taux de rappel des professionnels a aussi baissé, en même temps que le respect des mesures barrières. La Haute Autorité de santé (HAS) a publié le 30 mars un texte incompréhensible et sans explication où elle préconise de « recommander fortement la vaccination », tout en levant l’obligation vaccinale pour le Covid, la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite, mais en conservant l’hépatite B. Où est la cohérence et, surtout, pourquoi tout mélanger ? On oublie aussi que la recommandation de l’HAS précise que sa décision se fait « sans préjuger de l’avis du CCNE [Comité consultatif national d’éthique] sur les aspects éthiques et d’acceptabilité sociale », qui, lui, s’est bien gardé de le donner.

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Source: Le Monde