Un terroriste algérien qui avait refait sa vie depuis vingt-trois ans en Irlande rattrapé et jugé par la justice française

June 02, 2023
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Y a-t-il une vie après le djihad ? Après deux décennies à couler des jours paisibles dans la verte Irlande, où il a récemment été naturalisé, Youcef M., 55 ans, un père de famille apparemment sans histoire, avait fini par le croire. Voilà vingt-trois ans que cet Algérien élevait ses quatre enfants à Dublin, où sont nées ses trois filles, quand il a été rattrapé par son passé. Un jour de septembre 2021, les policiers irlandais sont venus l’arrêter dans le cadre d’un mandat d’arrêt européen émis par la justice française, et le quinquagénaire a été remis à la France, en février 2023, afin d’y être jugé pour « association de malfaiteur terroriste ».

Le temps a creusé de larges golfes dans ses cheveux poivre et sel, le visage est bonhomme, surmonté d’épaisses lunettes de vue, la silhouette rondouillarde emballée dans un grand t-shirt gris. Depuis le box vitré, le prévenu adresse des larges sourires à son fils, l’aîné de ses quatre enfants, qui a fait le chemin depuis Dublin pour s’asseoir dans le public : les faits pour lesquels Youcef M. a été jugé par le tribunal correctionnel de Paris, jeudi 1er et vendredi 2 juin, remontent à vingt-six ans, son âge.

Curiosité de ce procès, Youcef M. a déjà été jugé pour les mêmes faits. C’était en 2001. Il était accusé d’avoir appartenu à un groupe terroriste, le Takfir Wal Hijra, une mouvance dissidente du GIA (Groupe islamique armé) qui sévissait durant la « décennie noire » en Algérie, à la fin des années 1990. Ce groupe, qui possédait des antennes dans plusieurs pays européens, accueillait des « frères de lutte » en leur fournissant de faux papiers et envoyait des armes cachées dans des véhicules à destination des maquis algériens en se finançant par des vols.

Soupçonné d’avoir officié comme faussaire et voleur dans l’antenne marseillaise du groupe, Youcef M. avait été arrêté une première fois en 1997, puis relâché faute de preuves. Il s’était alors installé aux Pays-Bas, où il avait, selon l’accusation, poursuivi ses activités au sein de la cellule néerlandaise du groupe, avant de refaire sa vie en Irlande au tournant de l’an 2000. Introuvable, il avait été condamné par défaut en 2001 à six ans de prison par le tribunal correctionnel de Paris. Lors de sa remise à la justice française, en février 2023, il a demandé à être rejugé, comme la loi l’y autorise.

Dialogue de sourds

Le voilà donc aujourd’hui seul à la barre, à tenter de se dépêtrer d’un dossier qui a pris la poussière. Qui était Youcef M. à la fin des années 1990, et quel homme est-il aujourd’hui ? On n’en saura pas grand-chose, à vrai dire. Aucun témoin n’a été cité, ni à charge ni à décharge. Reste un dossier d’instruction vieux d’un quart de siècle, qu’il faut bien faire vivre à l’audience. Les charges reposent sur quelques procès-verbaux de surveillances réalisées par la DST, l’ancien service de renseignement intérieur, qui le montre en compagnie de membres du Takfir Wal Hijra, et sur les déclarations de ces derniers, qui l’avaient impliqué dans leurs activités.

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Source: Le Monde