Marseille : Chasse aux bateaux fantômes dans les ports
Un matin de 2020, Thibaut Blan se lève, comme tous les matins. Ses lunettes visées sur le nez, le jeune homme arpente le port du Frioul qui fait face à Marseille. Ce cadre enchanteur, c’est son bureau, lui qui est surveillant du port de cet archipel, au cœur du 7e arrondissement de la cité phocéenne. Soudain, au loin, il aperçoit quelque chose. Un bateau de 7,30 mètres de long, baptisé L’Albatros, gît là, posé sur le quai. Personne ne sait comment l’oiseau flottant a atterri ici. Rapidement, les responsables du port arrivent à la même conclusion : le bateau a été abandonné dans la nuit par son propriétaire.
Un cas loin d’être anecdotique à en croire les élus locaux. « Le phénomène s’aggrave car les gens ont de plus en plus de mal à payer leurs bateaux, estime Didier Réault, vice-président de la métropole délégué à la mer, au littoral et aux ports. Entre 2018 et 2021, on a traité 40 épaves, et selon les services, on va devoir en prendre une soixantaine en charge d’ici l’année prochaine. » « Moi, je vais en avoir deux à gérer en 2023, raconte Pierre-André d’Amico, maître de port de la Pointe-Rouge. J’ai notamment un voilier qu’on a un jour retrouvé au port de la Madrague de Montredon, qui est un petit port. C’est un squatteur comme on l’appelle. Il était là, sur une place qui ne lui appartenait pas, et le propriétaire n’est pas venu le récupérer. »
Une dizaine de milliers d’euros de frais
« Nous faisons face à plusieurs cas de figure, analyse Didier Réault. Il y a d’abord les bateaux abandonnés qui deviennent des épaves et qui coulent, quand les propriétaires ne font pas couler leurs bateaux. Il y a aussi des bateaux avariés dont on ne retrouve plus les propriétaires, ou dont les propriétaires sont décédés. Et on a aussi les bateaux abandonnés dont on retrouve les propriétaires, mais qui ne veulent rien faire, et dont on fait enlever l’épave. »
L’Albatros est de ceux-là. Affilié au Vieux-Port, son propriétaire a bien été contacté, sommé de régulariser sa situation. En vain. Alors, ce mercredi, devant une poignée de journalistes, une immense grue soulève le bateau qui vole au-dessus des flots du port de la Pointe-Rouge, jusqu’au camion « dépanneuse » qui vient le retirer. En l’absence de réponses de sa part, le propriétaire a été déchu de sa propriété au profit de la métropole qui se charge d’évacuer le navire abandonné. Coût de l’opération, que le propriétaire de L’Albatros devra rembourser à la collectivité : 9.500 euros. Des frais dans la moyenne de ceux auxquels la métropole fait face chaque fois.
Source de pollution
« Le problème, c’est que ces bateaux sont sources de pollution, regrette Didier Réault. Ils peuvent avoir par exemple des fuites d’hydrocarbures. Et jusqu’ici, ils finissaient à la casse, à la poubelle si vous voulez, dans des incinérateurs ou des décharges. » Depuis peu, pour limiter l’impact environnemental de ces opérations, la métropole d’Aix-Marseille Provence a conclu un appel d’offres avec une société située à Gignac-la-Nerthe, près de Marseille. « Notre souci aujourd’hui, c’est d’intégrer cette déconstruction dans une logique de recyclage, avec une entreprise spécialisée, poursuit Didier Réault. Désormais, on procède à la déconstruction de tous les mâts, dont on récupère le matériau noble comme le bois et l’acier. Après, en fonction du matériau restant, on recycle ou on traite du mieux possible. »
Cette chasse érigée au rang de priorité par la collectivité a un autre avantage : libérer des places dans des ports qui souffrent de tensions en la matière. « On a dans les ports des bateaux inutilisés et inutilisables, affirme Didier Réault. Je souhaite qu’on ait des ports vivants, et non des ports avec des épaves et des bateaux ventouses qui confondent le port avec un parking à bateaux. Un port, c’est fait pour que des plaisanciers entrent et sortent. Or, on sait très bien qu’il y a des bateaux qui ne sortent jamais. » Et prennent la place d’autres, selon l’adjoint, qui patientent pour obtenir le précieux sésame. Au Frioul, le temps d’attente pour avoir une place au port oscille… entre dix et quinze ans.
Source: 20 Minutes