Une amende pour être assis dans la rue ? À Angoulême, avec cet arrêté " tout le monde ou presque pourrait être arrêté et verbalisé "

July 17, 2023
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PIERRE DUFFOUR / AFP PIERRE DUFFOUR / AFP

URBANISME - Circulez, s’il vous plaît. Dans la ville d’Angoulême, en Charente, il est désormais interdit de rester dans une position assise, debout ou allongée dans l’espace public, dès lors que notre présence peut occasionner des « nuisances ». C’est l’objet du nouvel arrêté municipal pris par le maire Xavier Bonnefont (Horizons), mardi 11 juillet, qui a pour but de lutter contre « l’occupation abusive de l’espace public ». Les personnes ne respectant pas la mesure s’exposent à une amende de 35 euros, qui monte jusqu’à 150 euros si récidive.

Selon les termes de l’arrêté, cités par Franceinfo, « est interdite toute occupation abusive et prolongée des rues et autres espaces publics, c’est-à-dire par des individus regroupés, de manière immobile ou peu mobile, n’étant pas en transit et générant des nuisances (sonores, dégradations, menaces, etc.) qui troublent la tranquillité des passants ou des riverains ».

Une mesure qui n’a pas manqué de faire réagir sur les réseaux où certains ont souligné avec humour son absurdité.

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Le responsable juridique de la Ligue des Droits de l’Homme, François-Xavier Corbel, interviewé dans un article de La Nouvelle République, a quant à lui estimé qu’il s’agissait d’un « arrêté anti-précaires […] très classique qui cherche à chasser des centres-villes les plus précaires sans qu’ils génèrent forcément des troubles à l’ordre public ».

Selon Anthony Pecqueux, sociologue spécialiste de l’ethnographie urbaine et chargé de recherche au CNRS, que nous avons contacté, ce nouvel arrêté est une « atteinte à la ville comme bien commun » et une « porte ouverte à l’arbitraire ».

Le HuffPost. La ville d’Angoulême a décidé de punir d’une amende de 35 euros les « individus regroupés de manière immobile ou peu mobile, n’étant pas en transit et générant des nuisances », que pensez-vous de cette mesure ?

Anthony Pecqueux. C’est une mesure qui s’inscrit dans plusieurs trajectoires : d’une part, celle de cette mairie qui a déjà essayé il y a quelques années de grillager les bancs publics [une mesure qui avait provoqué un tollé en 2014, ndlr].

Mais elle s’inscrit aussi dans une trajectoire plus large, qui dépasse le cadre d’Angoulême : celle d’une architecture hostile, d’un urbanisme excluant, d’une ville dissuasive… Ces termes désignent un ensemble de dispositifs - matériels et législatifs, comme l’interdiction de consommer de l’alcool sur la voie publique - qui visent à empêcher certaines personnes d’avoir un accès prolongé à la ville. Mais il y a une nouveauté dans cet arrêté : un lien semble être fait entre des postures physiques (allongé, assis) et une certaine population.

Selon le Parisien, qui a parlé à l’adjoint au maire de la ville chargé de la sécurité, ce sont « les marginaux, les voyageurs et les jeunes » qui sont visés… Que pensez-vous de ce ciblage ?

Cet arrêté, comme l’ensemble de l’urbanisme dissuasif, est pris en vue de faire de la ville et de l’espace public, urbain et central, un espace lisse qui soit fait pour les voyageurs et les touristes. Les marginaux, les personnes SDF et les jeunes en situation d’errance sont clairement visés. Au regard des détails de la mesure, de l’histoire d’Angoulême et des centres-villes urbains depuis une quinzaine d’années, on est en droit de penser que l’arrêté vise les marginaux. C’est une continuité très lisible, et il n’y a aucun moyen de faire une autre interprétation.

Quand on pense à une ville, on pense à des espaces de vie partagés. Une telle mesure semble aller à l’encontre de ça.

La fonction générale de la ville est l’accueil de tous et toutes dans leur diversité. À chaque fois qu’une mesure d’urbanisme excluant est prise, c’est une atteinte à la ville comme bien commun. Ce principe est mis à mal à chaque banc qui devient un simple siège. L’un des autres principes de la ville est la fluidité. Mais il n’est pas nécessaire que le flux soit complètement incessant. Les gens ont le droit de s’arrêter.

Connaissez-vous des antécédents de mesures similaires dans d’autres villes ou localités ?

Les arrêtés municipaux sur la consommation d’alcool sont fréquents. La mendicité est régulée dans certaines villes suisses, de la même manière qu’il y a une régulation des spectacles musicaux dans le métro. Mais je n’ai jamais vu d’arrêté similaire à celui pris par la mairie d’Angoulême. À ma connaissance, c’est la première fois que certaines postures corporelles sont interdites. Et à mon avis, c’est extrêmement attaquable. L’acceptabilité d’une loi se mesure sur l’acceptabilité des principes sur lesquels elle repose. Dans ce cas-là, je ne vois pas sur quel principe elle peut se justifier…

La Ligue des Droits de l’Homme estime que, pour ce type d’arrêtés, « l’application qui en est faite par la police est souvent discriminante » : quelles sont les conséquences concrètes d’une telle mesure sur la vie des habitants ?

Des instructions seront données sur la mise en pratique. Les policiers et les personnes assermentées vont être formés. Mais quand on prend des arrêtés aussi flous, tout le monde ou presque pourrait être arrêté et verbalisé. Il n’y a aucun domaine d’application clair. Pour moi, c’est la porte ouverte à l’arbitraire.

Est-ce que la ville peut se pénaliser en prenant une telle mesure ?

Il y a eu un tollé sur Twitter, qui a remis en avant la mesure sur les bancs grillagés. En termes d’image, la ville y gagne très peu. Cette mesure avait un enjeu vis-à-vis du tourisme. Mais l’image de la ville me semble assez écornée par cette décision. Je n’ai pas vu un article qui prenait un angle favorable à la mairie d’Angoulême. Personne ne présente cette mesure sous un jour vraiment positif.

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Source: Le HuffPost