À Rennes, pour avoir filmé l’agonie d’un homme, elle est condamnée à de la prison avec sursis

July 19, 2023
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Lundi 29 mai, en fin de soirée, un homme de 26 ans était attaqué à coups de machette devant le métro Henri Fréville . Gravement blessé, il s’était réfugié à l’intérieur de la station avant de décéder quelques instants plus tard. Le lendemain, une vidéo d’une dizaine de secondes qui montrait son agonie était postée sur les réseaux sociaux et devenait virale.

Une jeune fille, âgée de 18 ans, était interpellée une semaine après par la police. En garde à vue, elle reconnaissait avoir filmé la séquence. Quelques jours plus tard, deux proches à elle, son petit ami et la sœur de ce dernier, étaient à leur tour interpellés. Ils étaient, de leur côté, accusés d’avoir diffusé la vidéo.

Ce mercredi, les trois prévenus comparaissaient devant le tribunal de Rennes. Accusée de complicité de violence, diffusion de l’enregistrement d’images relatives à la commission d’une atteinte volontaire à l’intégrité de la personne et non assistance à personne en danger, la jeune fille à l’origine de la vidéo s’est défendue à la barre d’une petite voix timide. Sans aucun antécédent judiciaire, elle s’est montrée particulièrement impressionnée devant la foule présente dans la salle.

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« Quand j’ai vu du sang au sol ce soir-là, ça m’a choqué, j’ai sorti mon téléphone sans réfléchir », raconte-t-elle. « Je me suis rapprochée, il est tombé à côté de moi, j’ai eu très peur, et à ce moment mon téléphone continuait à filmer. Je suis ensuite remontée chercher des gens. »

Vidéosurveillance

La vidéosurveillance de la station de métro la montre en effet descendre doucement les marches, le téléphone à la main, avant de s’arrêter quand l’homme blessé s’écroule à ses pieds dans les escaliers. On l’aperçoit ensuite remonter les marches en sens inverse avant de croiser trois autres personnes en haut de l’escalier. C’est l’une d’elles qui a contacté les pompiers pendant que la jeune fille quittait les lieux en prenant l’ascenseur.

« Pourquoi votre réflexe n’a pas été d’appeler les secours », questionne la présidente. « Je n’y ai pas pensé sur le moment, j’ai vu trop de sang, j’ai paniqué », se défend l’étudiante à l’université Rennes 2. « Filmer, c’était comme une sorte de réflexe pour me protéger. »

Elle a présenté des excuses

La présidente lui indique avoir « du mal à comprendre » qu’elle perde ses moyens « pour appeler les secours mais pas pour filmer ». « Le délit c’est de montrer les images d’une personne victime de violence », poursuit-elle.

Au bord des larmes et visiblement désemparée, la jeune fille présente ses excuses envers la famille de la victime. « Je suis mal, je m’excuse envers la famille, je ne recommencerai plus. » Elle affirme « être sous le choc » et ne plus trouver le sommeil depuis cette soirée. Son avocat, Me Tessier, rajoute qu’elle consulte également une psychologue dans le cadre de son contrôle judiciaire.

Expertise du téléphone

En plus de la non-assistance à personne en danger et le fait d’avoir filmé la scène, on lui reproche d’avoir envoyé la vidéo à d’autres personnes. L’expertise de son téléphone a montré qu’elle avait effectivement diffusé la courte séquence quelques instants plus tard à sa mère et son petit ami. « Des figures rassurantes alors qu’elle était dans un état de choc », développe son avocat pour tenter d’expliquer son geste.

Ce n’est pas une réaction normale !

Destinataire de cette séquence, son petit ami, âgé de 20 ans, a ensuite transmis la vidéo à sa grande sœur de 22 ans. Cette dernière a elle-même rediffusé l’extrait en « message privé » via le réseau social Snapchat. Ce qui a permis à une dizaine de personnes de son cercle proche de visionner ce contenu. Un cercle restreint dont faisait notamment partie sa petite sœur âgée de 16 ans.

« Vous affirmez avoir été choquée par ce visionnage », lui assène la procureur de la République. « Si ça vous a vraiment choqué, pourquoi la montrer à autant de monde ? Ce n’est pas une réaction normale ! »

Vidéo virale

Le lendemain, la vidéo a été postée en public sur le réseau social Twitter et a pu être consultée des dizaines de milliers de fois. Mais la sœur du petit ami de la victime se défend d’avoir publié ce contenu en public. Même version pour le petit ami, dont le téléphone reste introuvable.

« Il n’y a que vous et la maman de la prévenue qui avez reçu la vidéo », lui rappelle la présidente. « Comme on ne trouve pas votre téléphone, on ne peut pas vérifier vos dires. » « J‘ai une manie de perdre mes téléphones », se défend le jeune homme qui travaille dans un centre de tri. « Ma chambre est en travaux en ce moment, je vais peut-être bientôt le retrouver. » Le frère et la sœur sont accusés de diffusion de l’enregistrement d’images relatives à la commission d’une atteinte volontaire à l’intégrité de la personne.

« Souffrance éternelle »

Avant les réquisitions du procureur, Me Abachkina, avocate de la partie civile, prend la parole au nom de la famille de la victime, s’adressant directement à la jeune fille qui a tourné la vidéo. « Vous expliquez que vous ne recommencerez pas, mais la vidéo, elle, recommencera toujours », affirme l’avocate. « On passe beaucoup de temps avec la famille à faire supprimer la vidéo qui réapparaît régulièrement sur les réseaux sociaux. Vous les avez soumis à une souffrance éternelle. La maman du jeune homme tué fera face très longtemps a des images d’agonie de son fils qui a été filmé comme une bête de cirque. »

La loi ne commande à personne d’être un héros

Le ministère public évoque « un manque d’humanité » et requiert une peine de 18 mois de prison avec sursis contre la jeune fille qui a filmé et six mois de sursis pour le frère et la sœur accusés d’avoir diffusé l’extrait. Pendant son réquisitoire, la procureur n’a pas manqué de rappeler à toute la salle l’action héroïque d’un sans domicile fixe ce soir-là. « L’humanité, c’est ce monsieur sans-abri qui a porté immédiatement secours à l’homme blessé et lui a prodigué un massage cardiaque jusqu’à l’arrivée des secours. » Un geste qui, malheureusement, n’aura pas permis de lui sauver la vie.

Prison avec sursis

De son côté, l’avocat de la défense, a demandé une relaxe de toutes les charges pesant sur sa cliente. « Non, elle n’a pas filmé la scène d’un meurtre, non elle ne s’est pas abstenue de porter secours, non elle n’a pas diffusé la vidéo. Ma cliente ne peut pas être un bouc émissaire pour les autres. On ne saurait confondre ses actes avec les actes de ceux qui ont commis le meurtre de la victime, et qui d’ailleurs, n’ont pas été arrêtés. Elle ne peut pas non plus être le bouc émissaire d’un phénomène de société qui est le rapport qu’on a tous au téléphone portable. La loi ne lui impose pas d’appeler les secours mais de provoquer le secours. C’est ce qu’elle a fait, on le voit sur la vidéosurveillance. Face à une telle situation, tout le monde aurait réagi différemment. La loi ne commande à personne d’être un héros. »

Après une brève suspension de séance, le tribunal a finalement déclaré l’auteure de la vidéo coupable des différentes charges qui pesait sur elle - à l’exception des faits de complicité de violence. La jeune femme a été condamnée à 15 mois d‘emprisonnement avec sursis et aura un stage de citoyenneté obligatoire à exécuter.

Source: Le Télégramme