La France notée "AA-" par Fitch: le pari perdu d'Emmanuel Macron
Temps de lecture: 4 min
Et si c'était le vrai revers du macronisme ces dernières semaines? Jusque là, le chef de l'État a résisté à tout. Absence de majorité à l'Assemblée nationale? Qu'à cela ne tienne, voici dégainé le 49.3! Manifestations non déclarées dans les rues de Paris? Illico la troupe, la Brav-M et les nasses. L'intersyndicale promeut le sifflet et le carton rouge au Stade de France? Les voilà confisqués, et le président peut aller saluer les footballeurs en coulisses, hors de la vue des spectateurs.
En engageant la réforme des retraites, Emmanuel Macron savait qu'il aurait à affronter une forte houle sociale. Le navire gouvernemental, ballotté, a tenu.
Abonnez-vous gratuitement à la newsletter quotidienne de Slate.fr et ne ratez plus aucun article! Je m'abonne
Mais voici qu'un récif inattendu est apparu ce week-end: une note financière! Dans son dernier bulletin, publié vendredi 28 avril, l'agence de notation Fitch a dégradé la note de la France (de «AA» à «AA-»). Autrement dit, la dette française est jugée un peu moins sûre.
Quel désaveu! Surnommé «le Mozart de la finance» dans les premiers articles à son sujet, Emmanuel Macron a toujours revendiqué cet atout politique: la connaissance du monde économique et financier. «Je connais la grammaire des affaires», se justifiait-il en amont de sa campagne électorale de 2017, face au procès facile («candidat-banquier») intenté par ses adversaires.
Plus récemment, le président a justifié son passage en force pour la réforme des retraites par... la réaction des marchés financiers. «Je considère, qu'en l'état, les risques financiers et économiques sont trop grands» en cas d'abandon: voilà l'élément de langage présidentiel qui fut envoyé aux rédactions.
Pour l'Élysée, «renoncer à ce projet de loi mettrait la signature du pays en péril pour emprunter sur les marchés financiers», explicitait Le Monde le 16 mars dernier. Il n'en a rien été. La réforme est passée, la note française a trépassé.
«Tensions sociales»
Bien sûr, d'autres agences de notation vont rendre leur verdict ces prochaines semaines; rien ne dit qu'elles reprendront l'approche pessimiste de Fitch. De même, l'instrumentalisation politique de ce «AA-» relève parfois du comique. Une partie de la gauche, qui revendiquait son hostilité envers le système des agences de notation, en reprend désormais les oracles, sans aucun recul. Qu'importe le flacon de la critique, pourvu qu'on ait l'ivresse anti-macroniste.
Fitch est-elle devenue une officine gauchiste? Que nenni. Pour mieux comprendre, il faut se plonger dans le document de l'agence, qui détaille les raisons de cette rétrogradation.
Premiers facteurs: le poids de la dette française («le plus haut des pays notés AA», précise Fitch) et l'ampleur du déficit public, qui frôle les 5% –à cause du «quoi qu'il en coûte» et des aides anti-inflation, mentionne le document... ce que les oppositions se gardent bien de rappeler. Fitch estime également que les prévisions de croissance du gouvernement français restent trop optimistes. Et que ses mesures de réduction de la dette, à moyen terme, sont trop floues.
Mais quelques paragraphes plus loin, une autre raison est avancée: les «tensions sociales». Selon Fitch, les «pressions politiques et sociales», observées à l'occasion de la réforme des retraites, vont réduire l'ardeur du gouvernement français à désendetter le pays.
«Le contournement du Parlement en utilisant les pouvoirs constitutionnels de l'article 49.3 [...] a entraîné des manifestations et des grèves nationales et va probablement renforcer les forces radicales et contre le pouvoir établi», s'inquiète le rapport. Autrement dit, pour Fitch, Emmanuel Macron s'est rendu impuissant pour la suite du mandat. En voulant aller trop vite, il n'ira pas assez loin.
Feux croisés
Ce jugement rappelle celui d'Alain Minc, trois mois avant le premier tour de l'élection présidentielle 2022. Le conseiller des grands patrons formulait cette prophétie dans un entretien pour Le Point: «Si Macron est réélu, si jeune et énergique soit-il, son capital politique sera très rapidement affaibli, d'autant qu'il ne sera pas rééligible.» Fitch ne semble pas dire autre chose, plus de quinze mois plus tard.
À l'époque, c'est ainsi qu'Alain Minc avait justifié son basculement vers Valérie Pécresse. Laquelle aurait, selon l'essayiste, disposé d'une majorité solide au Parlement. Samedi 29 avril, la présidente de la région Île-de-France ne s'est d'ailleurs pas privée de troller le gouvernement, avec la note obtenue par sa région.
Très satisfaite de voir à nouveau la qualité de la gestion de la Région reconnue par les agences de notation.
Avec la meilleure note intrinsèque "aa+", les agences soulignent la prudence de ces dépenses, la robustesse de ses décisions de gestion & la maîtrise de son endettement. https://t.co/GM0QAiO8fd — Valérie Pécresse (@vpecresse) April 29, 2023
Dans son argumentaire, l'agence Fitch souligne aussi que «l'impasse politique et les mouvements sociaux (parfois violents) constituent un risque pour le programme de réformes de Macron et pourraient créer des pressions en faveur d'une politique budgétaire plus expansionniste ou d'un renversement des réformes précédentes».
Traduction en français courant: Emmanuel Macron, échaudé par la contestation, risque de lâcher du lest et de remettre à plus tard le désendettement de la France.
Voilà tout le paradoxe de cette affaire. En utilisant le 49.3, le chef de l'État pensait montrer sa fermeté aux marchés et aux évaluateurs financiers. Tant pis pour la paix sociale.
Ce qu'il perdait en concorde nationale, il pensait le gagner en attractivité internationale. Ce qu'il égarait en popularité intérieure, il estimait le retrouver en crédibilité extérieure. Pari perdu.
Voici désormais Emmanuel Macron placé sous les feux croisés de la CGT (et des autres syndicats) et des agences de notation. Un accomplissement inédit du «en même temps»...
Source: Slate.fr