"On n'est pas des criminels" : les jeunes étrangers vont être expulsés du squat 5 Étoiles à Clermont-Ferrand

August 01, 2023
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Assis sur une chaise en plastique, Moses se livre. Les mots tombent en cascade. Ce jeune homme affable a fui le Cameroun et posé ses quelques affaires au squat 5 Étoiles, dans le quartier de La Pardieu, au sud de Clermont-Ferrand, en mai dernier. Il se rêve écrivain, s'imagine déjà auteur d'un best-seller. "Je voudrais écrire sur l'absurde comme [Albert] Camus", pose-t-il.

Il aurait de quoi écrire un chapitre acerbe sur son expérience auvergnate, sur la confrontation de son monde et celui dans lequel il a débarqué avec ses compagnons de galère. Selon nos informations, les trente-deux migrants seront expulsés du squat 5 Étoiles, mercredi 2 août. Contactée, la préfecture du Puy-de-Dôme se refuse à tout commentaire. "On s'y attendait, on savait que ça nous tomberait dessus un jour ou l'autre", se résigne Moses.

300 jeunes accueillis depuis 2017

Depuis le printemps, un avis d'expulsion plane sur ce refuge qui, depuis 2017, a vu passer quelque 300 jeunes en cours de procédure juridique pour faire reconnaître leur minorité dans l’attente de leur prise en charge par les services de l’Aide sociale à l’enfance du conseil départemental du Puy-de-Dôme ou ayant un projet d’insertion professionnelle lorsqu’ils atteignent la majorité.

A Clermont-Ferrand, comment le squat 5 Étoiles est devenu depuis deux ans un refuge pour les jeunes étrangers évalués majeurs

En attendant que les membres du Collectif citoyen 63 viennent les aider à ranger leurs affaires et trouver du sens à ce énième départ vers l'inconnu, Moses est rejoint par deux autres Camerounais avec lesquels il s'est lié d'amitié. Kevin et Simplice ont connu la même traversée du Niger à la Tunisie, l'Algérie ou encore Lampedusa, en Italie. "On avait beaucoup d'espoir, les bénévoles nous rassuraient, ils se sont battus pour nous, se désolent-ils. On espérait que ça n'arrive pas."

Un départ vécu comme "une injustice"

Les heures paraissent longues, ce mardi 1er août, et rapprochent ces jeunes du couperet. Une violence de plus, s'agace-t-on au collectif. "Leur parcours est déjà assez chaotique pour leur éviter ce type de rupture", souffle une bénévole. Les cassures qui se profilent sont multiples. Arrivés seuls, ils ont trouvé une famille dans ce lieu. "C'est apaisant ici. Il y a de l'amitié et de la fraternité qui sont nés. On ne veut pas être séparés, craignent Moses et Kevin. Quand vous êtes avec des gens qui partagent votre vécu, vous vous apaisez mutuellement."

Quitter ce squat, qu'ils appellent désormais "la maison", est "une injustice", désespère Moses. Le garçon, de nature optimiste, jette un regard noir devant lui :

"On n'a rien fait pour mériter ça, on n'est pas des criminels ou des méchants, c'est juste qu'on ne pouvait pas rester au pays. Il faut être doux avec nous, on a besoin de sécurité." Moses (Migrant venu du Cameroun)

Sept membres du collectif passent devant lui et son sourire revient. "Ce sont comme des parents pour nous, ils nous aident et nous aiment, ça nous met du baume au cœur", dit-il.

Inquiétude pour les prochains jeunes étrangers

Et comme des parents, Annie Llombart et les autres ne décolèrent pas. D'autant plus que personne ne les a clairement informés de cette expulsion imminente. "Jusque-là, nos relations avec la préfecture étaient normales, on a travaillé à un projet d'accueil pendant cinq ans, c'est déraisonnable", s'étonne la présidente du Collectif citoyen 63.

Si cette trentaine de jeunes devrait être relogée, la suite préoccupe les bénévoles. Sur la pérennité de leur hébergement et l'absence de solutions pour ceux qui arriveront dans les prochains mois.

Le Collectif citoyen 63 : une association pour aider les mineurs non accompagnés du Puy-de-Dôme

Moses n'arrive pas à écrire, l'expulsion menace et le prive d'inspiration. Mais, le thème s'affine. "Je voudrais écrire sur la vie ici. Comment être heureux dans ce monde qui nous offre tant de malheur ? Je veux me battre pour changer les choses." Après l'absurde, la révolte.

Malik Kebour

Source: La Montagne